Le don manuel (cerfa 2735) : une simplicité trompeuse aux conséquences souvent méconnues
- Olivier Gosmant
- 7 sept.
- 6 min de lecture

Le don manuel est souvent perçu comme un acte simple, rapide et sans formalités lourdes.
Il s’agit de transmettre directement, de la main à la main, un bien mobilier — comme de l’argent liquide, des bijoux, des titres en bourse, ou un véhicule — à un proche, sans passer par un notaire ni rédiger un acte officiel.
Cette facilité séduit de nombreux donateurs qui souhaitent aider un membre de leur famille ou anticiper leur succession sans complications.
Pourtant, derrière cette apparente simplicité se cache une « bombe à retardement » : des conséquences civiles et fiscales importantes peuvent surgir, souvent plusieurs années ou dizaine d'années après le don, au moment du décès du donateur.
Qu’est-ce qu’un don manuel (Cerfa 2735) ?
Type de donation parmi beaucoup d'autres, un don manuel est la remise effective d’un bien mobilier ou d’une somme d’argent, sans acte notarié.
Par exemple, un parent qui remet 10 000 euros en espèces à son enfant, ou qui lui donne des titres de société en main propre, réalise un don manuel. Cette transmission est immédiate et irrévocable : le donateur se dépouille du bien, et le bénéficiaire l’accepte.
Le don doit être déclaré au moyen du formulaire Cerfa 2735.
Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce don n’est pas un simple cadeau. Il s’inscrit dans un cadre juridique et fiscal précis, avec des règles qui peuvent avoir des impacts lourds à moyen ou long terme.
Le don manuel est une avance sur héritage
Le principe fondamental à comprendre est que le don manuel est considéré comme une avance sur héritage. Cela signifie que ce que le bénéficiaire reçoit de son vivant sera pris en compte dans le calcul de la succession du donateur.
Concrètement, cela veut dire que le don manuel ne fait pas disparaître la valeur donnée du patrimoine du donateur au moment de son décès. Au contraire, cette valeur est « rapportée » à la succession. Cette opération, appelée « rapport à la succession », a pour but de garantir une répartition équitable entre tous les héritiers réservataires, c’est-à -dire ceux qui ont droit à une part minimale du patrimoine (notamment les enfants).
Par exemple, si un parent a donné 100 000 euros à son enfant Michel par don manuel, et qu’il a aussi un autre enfant Aurore, la valeur de ce don sera prise en compte au moment du décès du parent pour calculer la part de chacun. Si la valeur du don a augmenté entre temps (par exemple, l’enfant a investi l’argent), cette nouvelle valeur sera intégrée dans le calcul de la succession.
Comment fonctionne le rapport à la succession ?
Pour illustrer ce mécanisme, prenons un exemple simple :
En 1990, Michel souhaite créer sa société, mais comme il n'a pas d'argent, il demande à son père Jacques de l'aider. Jacques lui donne donc 100 000 euros, qui seront investis en totalité. Pour ne pas faire de jaloux, il donne également 100 000€ à sa fille Aurore. Les dons manuels sont correctement déclarés.
35 ans plus tard, en 2025, Jacques décède. Michel et Aurore sont ses deux seuls héritiers.
Au décès, le patrimoine de Jacques vaut 450 000 euros.
La société de Michel vaut maintenant 550 000 euros (dans la vraie vie, ce montant pourrait être beaucoup plus important).
Aurore s’est quant à elle servie de l’argent donné pour faire un tour du monde et a laissé le solde sur son compte courant.
Le calcul de la succession se fait ainsi :
On additionne la valeur du patrimoine au décès (450 000 €) à la valeur des dons rapportés au jour du décès (550 000 € + 100 000€), soit un total fictif de 1 100 000 €.
Cette somme est divisée par deux (pour les deux enfants), soit 550 000 € par enfant.
Il est considéré que Michel a déjà reçu les 550 000 € via le don manuel, qui vaut cette somme aujourd'hui. Il ne reçoit donc plus rien lors du partage de la succession.
Aurore recevra 550 000 €, 450 000€ provenant de la totalité du patrimoine de Jacques et 100 000€ de la part de son frère Michel.
Ce mécanisme vise à éviter qu’aucun des enfants ne soit désavantagé par rapport à ses frères et soeurs. Il garantit que la part de chacun dans le patrimoine total du parent reste équitable.
On imagine donc la réaction de Michel, qui va se sentir floué, puisqu’il doit partager avec sa soeur les fruits de son travail et des risques qu’il a pris depuis 35 ans. Il peut être placé dans une situation financière difficile s’il n’a pas les liquidités disponibles, voire devoir vendre son entreprise pour pouvoir payer sa soeur. L’entente entre eux peut être détruite par cette situation.
Les risques cachés de la simplicité du don manuel
Si ce principe paraît juste, il peut néanmoins engendrer plusieurs difficultés pratiques et financières :
Soultes importantes : L’enfant ayant reçu le don doit souvent verser une compensation financière (appelée soulte) à ses frères et sœurs pour équilibrer la succession. Cette soulte peut être lourde, surtout si la valeur du don a fortement augmenté.
Tensions familiales : Ces ajustements peuvent provoquer des conflits entre héritiers, notamment si le bénéficiaire du don a déjà dépensé les fonds ou investi dans des biens difficiles à liquider.
Impact fiscal différé : Le don manuel doit être déclaré à l’administration fiscale via un formulaire spécifique (Cerfa n°2735). En cas de non-déclaration ou de sous-évaluation, des pénalités et un redressement fiscal peuvent survenir, souvent au moment de la succession, augmentant la facture fiscale.
Plus-values latentes sur titres : Si le don porte sur des titres de société, la plus-value latente n’est pas purgée au moment du don. Le bénéficiaire devra payer l’impôt sur la plus-value lors de la revente des titres, ce qui peut représenter un coût fiscal majeur, même s’il n’a pas reçu de liquidités au moment du don.
Absence de clauses protectrices : Contrairement à une donation notariée, le don manuel ne prévoit pas de clauses civiles (retour conventionnel, modalités d’usufruit, gel des valeurs) qui pourraient sécuriser la transmission et limiter les risques d’inégalités ou de conflits.
Pourquoi le don manuel est-il une « bombe à retardement » ?
La facilité à réaliser un don manuel masque souvent l’absence de réflexion stratégique sur ses conséquences à long terme. Plusieurs éléments peuvent se combiner pour créer des difficultés majeures :
Évolution de la valeur du bien donné : La valeur du bien transmis peut fortement évoluer entre le moment du don et le décès, modifiant les équilibres successoraux.
Complexité fiscale : La déclaration est obligatoire, les abattements doivent être respectés, et les règles fiscales sont complexes. Le rappel fiscal sur 15 ans oblige à prendre en compte toutes les donations antérieures pour calculer les abattements.
Cadre civil non sécurisé : Le don manuel ne garantit pas l’égalité entre héritiers ni la prise en compte des volontés spécifiques du donateur.
Enjeux liés aux entreprises et titres : Ces transmissions demandent une expertise particulière pour intégrer les régimes fiscaux avantageux (pacte Dutreil, reports d’imposition, exonérations).
L’intérêt de consulter un professionnel avant toute donation
Face à ces risques, il est vivement conseillé de consulter un professionnel du droit patrimonial (notaire, avocat spécialisé, conseiller en gestion de patrimoine) avant de procéder à un don manuel.
Dans le cadre de ma mission de conseil juridique et fiscal, je pourrai :
Vérifier la nature du don et les biens concernés, pour choisir la forme la plus adaptée.
Étudier la situation familiale et successorale pour anticiper les effets du rapport à la succession.
Conseiller sur la déclaration fiscale, l’évaluation des biens et le respect des abattements.
Proposer des solutions plus sécurisées comme la donation-partage, qui permet de « geler » la valeur des biens et d’organiser la répartition entre héritiers.
Intégrer les dispositifs spécifiques pour les titres d’entreprise, afin de limiter la charge fiscale future.
Prévenir les conflits familiaux en clarifiant les intentions et en structurant la transmission.
En conclusion, le don manuel séduit par sa simplicité et son coût réduit, mais cette apparente facilité peut cacher de lourdes conséquences civiles et fiscales à moyen ou long terme.
La clé pour éviter que ce don ne devienne une source de conflits, de soultes imprévues ou de redressements fiscaux est d’en comprendre les mécanismes fondamentaux et d’anticiper avec rigueur.
Pour cela, il est essentiel de ne pas agir seul. Le recours à un professionnel compétent garantit une transmission maîtrisée, sécurisée et adaptée à la situation personnelle et patrimoniale de chacun.
Ainsi, la simplicité du don manuel ne se transformera pas en bombe à retardement, mais en un acte de générosité éclairée et sereine.