Le trust : fiscalité française et pièges méconnus
- Olivier Gosmant
- 21 sept.
- 6 min de lecture

Sophie, française résidant à Paris, ignorait qu'elle était en infraction fiscale. Bénéficiaire d'un trust familial créé par son père américain, elle n'avait jamais déclaré cette situation à l'administration fiscale française. Résultat : 60 000 euros d'amendes pour défaut de déclaration, auxquels se sont ajoutés des rappels d'impôts avec majorations.
Le trust, institution juridique anglo-saxonne issue du common law, est un outil largement utilisé aux États-Unis pour la planification patrimoniale, la protection des actifs et la transmission successorale.
Pourtant, pour les résidents fiscaux français, notamment les franco-américains, les expatriés ou les héritiers de trusts américains, la détention, la perception de revenus et la transmission via un trust soulèvent des difficultés fiscales majeures en France.
Cet article propose une analyse des enjeux fiscaux liés aux trusts en France, des pièges les plus fréquents, et des bonnes pratiques pour régulariser sa situation.
1. Le trust : un concept juridique étranger au droit français
1.1 Définition et spécificités du trust
Historiquement, il est bon de rappeler que le concept du trust, bien que largement associé au droit anglo-saxon contemporain, trouve en réalité ses racines dans le droit français médiéval.
Avant la Révolution française, les aristocrates français utilisaient des mécanismes juridiques similaires au trust, appelés « fidéicommis ». Ces dispositifs permettaient de transmettre et de protéger le patrimoine familial sur plusieurs générations, en dissociant la propriété juridique de la propriété économique, afin de préserver l’intégrité des biens familiaux face à l’éclatement successoral.
Cependant, la Révolution française a aboli ces pratiques, considérées comme contraires à l’égalité successorale et à la libre circulation des biens. C’est dans ce contexte que le trust a disparu du paysage juridique français, alors même qu’il s’est développé et institutionnalisé dans les pays de common law, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Cette origine française du trust, souvent méconnue, explique en partie la complexité de sa réintroduction dans le droit fiscal français moderne, qui doit composer avec une tradition civiliste réticente à la dissociation entre propriété juridique et économique. Ce rappel historique éclaire les difficultés actuelles de reconnaissance et de traitement fiscal du trust en France, et souligne l’importance d’une approche prudente et experte pour les professionnels du conseil patrimonial.
Le trust est une structure juridique dans laquelle une personne, le constituant (settlor), transfère des actifs à un tiers, le trustee, qui les détient et les administre au profit de bénéficiaires désignés.
Cette dissociation entre la propriété légale (trustee) et la propriété économique (bénéficiaires) est la pierre angulaire du trust. Cette notion est inconnue du droit civil français, qui repose sur la propriété indivise et ne reconnaît pas la séparation entre propriété juridique et économique.
1.2 Conséquences de l’absence de reconnaissance en droit français
L’absence de reconnaissance juridique du trust en France complique considérablement son traitement fiscal. Le trust est considéré comme une entité opaque, sans personnalité juridique propre, ce qui conduit l’administration fiscale à appliquer des règles spécifiques pour éviter que cette opacité ne serve à dissimuler des revenus ou des actifs.
Cette situation est à l’origine d’une lourde charge déclarative et d’une fiscalité complexe pour les résidents fiscaux français liés à un trust.
2. Les obligations fiscales et déclaratives françaises relatives aux trusts
2.1 La législation française applicable
Depuis la loi de finances pour 2011, la France a instauré un régime déclaratif spécifique pour les trusts étrangers liés à des contribuables français. Cette législation vise à assurer la transparence fiscale des trusts en imposant des obligations déclaratives strictes aux constituants, trustees et bénéficiaires résidents fiscaux français.
2.2 Les obligations déclaratives principales
Déclaration initiale du trust (formulaire 2181-T1 ou 2181-T) : doit être déposée lors de la création, modification ou extinction du trust. Elle recense les parties prenantes (constituants, trustees, bénéficiaires) et décrit les actifs détenus.
Déclaration annuelle (formulaire 2181-TRUST2) : déclaration de la valeur des actifs détenus par le trust au 31 décembre de chaque année.
Déclaration des revenus distribués ou capitalisés : les bénéficiaires doivent déclarer les revenus perçus du trust, imposables en France.
Déclaration des comptes bancaires étrangers détenus par le trust (formulaire 3916).
Taxe annuelle de 0,5% sur les actifs : applicable dans certains cas, notamment lorsque le trust détient des actifs immobiliers en France.
2.3 Critères d’application
Ces obligations s’appliquent dès lors qu’un lien existe entre le trust et la France, notamment si le constituant, le trustee ou un bénéficiaire est résident fiscal français, ou si le trust détient des actifs situés en France.
3. Les difficultés fiscales majeures rencontrées par les résidents fiscaux français
3.1 La double imposition potentielle
Aux États-Unis, les trusts sont soumis à une fiscalité complexe selon leur nature :
Grantor trusts : transparents fiscalement, les revenus sont imposés directement au niveau du constituant, même s’ils ne sont pas distribués.
Non-grantor trusts : entités fiscales distinctes, imposées sur les revenus non distribués, tandis que les bénéficiaires sont imposés sur les distributions reçues.
En France, seule l’imposition des revenus distribués est retenue, les revenus non distribués ne sont pas imposés. Cette différence de traitement peut générer des situations de double imposition, notamment lorsque les États-Unis imposent des revenus non distribués alors que la France impose les distributions, parfois avec un décalage dans le temps.
3.2 La complexité des règles successorales
Au décès du constituant, les actifs du trust peuvent être soumis aux droits de succession français, même s’ils sont situés à l’étranger. La France considère que le décès du constituant constitue un fait générateur d’imposition. Cette règle peut entraîner une double imposition successorale avec les États-Unis, où l’estate tax s’applique également. La convention fiscale franco-américaine en matière de succession ne traite pas explicitement des trusts, ce qui laisse place à des interprétations divergentes et à des risques fiscaux importants.
3.3 Les obligations déclaratives lourdes et les sanctions
Le défaut de déclaration d’un trust ou de ses revenus expose à des sanctions financières très lourdes :
Amende forfaitaire de 20 000 € en cas de non-dépôt du rapport initial.
Sanctions proportionnelles pouvant atteindre 12,5% de la valeur des actifs détenus dans le trust.
Majoration des droits éludés de 40 à 80%.
Intérêts de retard sur les montants dus.
Délais de prescription allongés jusqu’à 10 ans, voire plus en cas de fraude.
Ces sanctions peuvent rapidement atteindre des montants astronomiques, mettant en péril la situation patrimoniale des contribuables concernés.
4. Les pièges les plus fréquents à éviter pour le trust et sa fiscalité en France
4.1 L’ignorance de l’obligation déclarative
Beaucoup de bénéficiaires de trusts américains ignorent qu’ils ont une obligation déclarative en France. Ils reçoivent des distributions sans jamais s’interroger sur leur statut fiscal. Cette ignorance est un piège majeur qui expose à des redressements fiscaux lourds.
4.2 La confusion entre juridiction du trust et résidence fiscale
Le fait que le trust soit établi aux États-Unis et géré par un trustee américain ne dispense pas les bénéficiaires résidents fiscaux français de leurs obligations déclaratives et fiscales en France. La résidence fiscale détermine le champ d’imposition, et non la localisation juridique du trust.
4.3 La méconnaissance du statut de bénéficiaire
Certaines personnes découvrent tardivement qu’elles sont bénéficiaires d’un trust familial. Et pour la plupart, elles ne connaissent pas les obligations fiscales qui leur incombent et font confiance au trustee américain.
Elles pensent à tort que ne pas avoir demandé cette qualité les exonère d’obligations fiscales. Or, la qualité de bénéficiaire, qu’elle soit acceptée ou subie, entraîne des obligations déclaratives automatiques.
4.4 La confiance excessive dans les conseils américains
Les conseils fiscaux américains, même très compétents, ne maîtrisent pas toujours les subtilités du droit fiscal français. Suivre leurs recommandations sans consulter un spécialiste français peut conduire à des erreurs graves.
4.5 Le déni et la procrastination
Face à la complexité et à la peur des sanctions, certains contribuables préfèrent ne rien faire, espérant que le problème disparaîtra. Cette stratégie est la plus risquée, car les pénalités s’accumulent et les délais de prescription s’allongent.
5. Stratégies de prévention et de régularisation
5.1 L’anticipation avant l’installation en France
Pour les Américains ou Franco-Américains envisageant de s’installer en France, il est crucial d’anticiper plusieurs mois à un an avant la résidence fiscale :
Identifier tous les trusts dont ils sont constituants, bénéficiaires ou trustees.
Analyser la nature fiscale des trusts (transparent, opaque).
Évaluer les obligations déclaratives et fiscales.
Mettre en place une stratégie de conformité adaptée.
5.2 La régularisation spontanée
Pour les personnes déjà en France et en situation d’irrégularité, la régularisation spontanée est fortement recommandée :
Elle permet de réduire les sanctions et majorations.
Elle démontre la bonne foi du contribuable.
Elle évite un contrôle fiscal dévastateur.
Cette procédure nécessite une reconstitution complète de l’historique du trust, la collecte de documents auprès des trustees, la déclaration rectificative des années concernées et le calcul des droits et pénalités.
5.3 L’accompagnement par un spécialiste
La complexité technique et juridique des trusts impose de recourir à un avocat fiscaliste ou un conseiller spécialisé en fiscalité franco-américaine. Ce professionnel saura naviguer entre les deux systèmes, négocier avec l’administration fiscale et sécuriser la situation du client.
En conclusion, trust et fiscalité française ne font pas très bon ménage : la détention, la perception de revenus et la transmission via un trust américain par un résident fiscal français peuvent constituer une bombe à retardement fiscale.
L’incompatibilité entre le droit civil français et le concept de trust, combinée à des obligations déclaratives strictes et des sanctions lourdes, expose les contribuables à des risques financiers majeurs.
L’ignorance ou la mauvaise compréhension de ces règles est le principal facteur de redressement.
Pour éviter ces pièges, l’anticipation, la transparence et la régularisation sont indispensables. Une fois la situation correctement traitée, le trust ne pose généralement pas de problème insurmontable.
C’est généralement dans le cadre d’une consultation patrimoniale que je détecte ce type de risque et que je le règle, avec le concours d’un avocat spécialisé.